CLAUDEL (Paul).
Cinq grandes Odes.
Suivies
d'Un processionnal pour saluer le siècle nouveau.
Troisième édition.
Paris, Nouvelle Revue Française, 1919.
In-8° broché, 204 p., belle vignette de justification de tirage, ex-libris manuscrit à la page de garde, taches sur la couverture.
La vignette de justification de tirage reproduit l'ex-libris que l'artiste tchèque Zdenka Braunerova avait gravé pour Paul Claudel avec qui elle était devenue amie et avait correspondu entre 1909 et 1914 et pour qui elle avait réalisé les décors de L'Annonce faite à Marie, représentée à Prague en 1914.
Notice par Alexandre Didier :
De retour en Chine après la renonciation
à son engagement monastique, Claudel rencontre Rosalie
Vetch – une « conflagration »
dont « l'ébranlement » hante les
poèmes de la période 1901-1905, la deuxième
section de Connaissance de l'Est, Cinq Grandes Odes
et Art poétique, avant de hanter toute l'œuvre.
Dans la première des odes, Les Muses, l'invocation
à Erato, inspirée de Rosalie comme Ysé de
Partage de midi, rompt l'homogénéité
d’une ode où la description du motif païen et
mythologique des Muses, inspiré de la frise sculptée
d’un sarcophage du Louvre, donne une représentation
symbolique de la parole poétique. Au poète qui
par sa parole célèbre Dieu succède et s'oppose
l'amant emporté dans le dehors du monde et dans la destruction.
Il est difficile de dater cette ode : est-elle composée
à Solesmes (partie catholique), puis en 1901 après
la rencontre avec Rosalie Vetch, ou achevée en 1904 ?
Marié, de retour en Chine, à
Pékin, « d’un vieux empire le décombre
principal », puis à Tien-Tsin, Claudel compose
successivement quatre autres odes : L'Esprit et l'eau
(juin-septembre 1906), Magnificat (décembre 1906-avril
1907), La Muse qui est la Grâce (avril-juin 1907),
La Maison fermée (juillet 1907-janvier 1908). Les
Cinq Grandes Odes, publiées en 1910 (L'Occident),
unissent la biographie, la poétique, l'extase lyrique
et religieuse.
La pénitence imposée par la culpabilité
de l'amour pour Rose (Rosalie Vetch, dans L'Esprit et l'eau),
est suivie, symboliquement, dans le Magnificat (III),
au cœur du recueil, de l'image du père célébrant
la naissance de sa fille Marie, placé dans le « suspens
de son existence ». La Muse qui est la Grâce
(IV) écarte la tentation mystique et renvoie le « fils
de la terre », le « lourd compère »
à sa condition. La Maison fermée (V), qui
oppose aux neuf Muses païennes « intérieures »
« les Quatre Grandes Extérieures »,
« les quatre vertus cardinales » de la
théologie, la Prudence, la Force, la Tempérance,
la Justice, et soumet la parole poétique à une
éthique qui puise à la théologie thomiste,
fait de Reine, l'épouse, la gardienne du poète.
Le sacrement du mariage sublime le désir en une relation
réelle à Dieu.
Le recueil ordonne une existence. Les Muses
(I) s’achève sur la déflagration du monde
contemplée par le couple adultère. Dans La Maison
fermée (V), le poète, dans un univers clos,
communie dans la foi catholique avec tous les morts et tous les
vivants. À L'Esprit et l'eau (II), où dans
l'ultime vision digne de Dante le poète pénitent
accède à la vision de la Sagesse de Dieu, s'oppose
la quatrième ode, dialogique et dramatique, correspond
La Muse qui est la Grâce, où le poète,
tenté par la Grâce, refuse la « liberté »,
et s'en « retourne désespérément
vers la terre ». Sommet et centre du recueil, le Magnificat
(III), célèbre Dieu qui, par la conversion, a libéré
le poète de ses ennemis (les philosophies et les esthétiques)
et lui a donné une vie catholique, don qu’il renouvelle
à son tour en sa fille Marie.
Servies par l’expressivité du verset,
et la répétition dont Claudel fait un principe
musical de composition, les odes sont intensément lyriques.
L'émotion y est constante, face à la femme, dans
la prière, face à l'enfant, dans la communion.
L'ivresse, traditionnellement païenne, prend un sens catholique :
elle est joie triomphante. La Muse devient la Grâce, la
Bacchanale se fait chant de glorification de Dieu. Dans ces « symphonies »,
Claudel reprend des motifs présents dans son théâtre
antérieur : l'amour, la femme rappellent Lâla
de La Ville (1898) et Ysé de Partage de midi
(1905) ; l'eau, dans L'Esprit et l'eau comme dans
Connaissance de l'Est, est lien universel et principe
de dissolution. Cette écriture lyrique est mise au service
d’une poésie catholique : le poète, qui
a rompu avec le monde historique, rassemble la terre pour en
faire l'offrande à Dieu. Figuré par le prêtre,
le père, l’homme, le poète rend à chacun
ce qu’il lui doit, à Dieu, l’esprit, à
la femme, la vie, à l’homme le sens catholique du
monde. La poésie, comme le montre la référence
à la messe dans La Maison fermée, est communion
universelle en Dieu. Les moments les plus didactiques doivent
être lus comme des actes de foi : car l'ode est un
chant de célébration offert à Dieu, chant
de la créature humble et désormais soumise qui
magnifie Dieu, Magnificat.
Bibliographie :
- Alexandre (Didier), Cinq Grandes
Odes, dans Société Paul Claudel (ressource
en ligne).
15 euros (code de commande
: 00123).
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